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Séminaire Open-SHS. Compte rendu de la séance 4 : Partager les données liées aux publications

Le séminaire OPEN-SHS, organisé à l’initiative de la revue Biens symboliques / Symbolic Goods et de la ComUE Université Paris Lumières (UPL), s’est conclu sur une séance consacrée au partage des données liées aux publications scientifiques, avec Yvette Lafosse et Coralie Wysocynski (Inist/DoRANum), Hélène Jouguet (Huma-Num), et trois membres de la revue Cybergéo, Christine Kosmopoulos (UMR Géographie-cités, responsable éditoriale), Denise Pumain (Paris 1, fondatrice et directrice scientifique de 1996 à 2022) et Juste Raimbault (Lastig, responsable des Model Papers).

 

 
Le projet OPEN-SHS, lauréat du deuxième appel à projets du Fonds national pour la science ouverte, a pour ambition de faire de la revue Biens symboliques / Symbolic Goods un dispositif pilote dans la stratégie de la ComUE Université Paris Lumières (UPL) en matière de science ouverte. BS/SG est une revue semestrielle et bilingue de sciences sociales des arts, de la culture et des idées, diffusée selon les principes du modèle « diamant » (en accès ouvert gratuit, sans APC ni barrière mobile) sur OpenEdition Journals.
OPEN-SHS se décline en trois axes. Le premier, « Consolider », consiste à accompagner BS/SG vers un modèle économique plus pérenne pour permettre à la revue de poursuivre ses ambitions éditoriales en matière de science ouverte et de publication multilingue. Le deuxième, « Innover », vise à développer une forme éditoriale innovante, la synthèse multilingue, expérimentée dans le cadre du programme Transiens (2019-2022). Le troisième volet, « Transmettre », a vocation à mettre en commun les expériences, connaissances et pratiques pour réfléchir collectivement aux applications et implications des principes de la science ouverte sur les processus éditoriaux et les modèles économiques des revues de sciences sociales. Cet axe comprend l’organisation du premier Symposium de revues européennes de SHS (2021-2022), la mise en place d’une rubrique « science ouverte » dans BS/SG (à venir) et l’organisation du séminaire OPEN-SHS.

Un guide pour « Partager les données liées aux publications scientifiques »

Yvette Lafosse et Coralie Wysocynski ont introduit la séance en présentant un guide à destination des chercheur·ses sur les modalités de liaison des données aux publications scientifiques. Le guide a été construit autour de trois cas de figure : le cas où les données ne sont pas encore finalisées au moment de la soumission d’un article, le cas où les données sont finalisées, et le cas où les données sont non seulement finalisées mais ont été également valorisées par la publication d’un data paper (voir plus bas).

Un préalable à la liaison des données à la publication est le dépôt des données dans un entrepôt, dont la vocation est de partager les données de recherche selon les principes FAIR, avant la publication de l’article. Ajouter un lien vers un jeu de données après publication est beaucoup plus contraignant. Il existe des entrepôts institutionnels, disciplinaires, comme Nakala, nationaux comme Recherche Data Gouv, ou spécifiques au type de données à déposer (par exemple BeQuali, entrepôt développé par le Centre de données sociopolitiques, pour les données qualitatives, ou Cocoon, entrepôt de données mis à disposition par Huma-Num pour les enregistrements audio). Il faut préciser que HAL n’est pas un entrepôt mais une archive ouverte plutôt destinée à accueillir des publications ; déposer des données dans HAL leur offrirait une visibilité moindre.

Des outils existent pour identifier un entrepôt : CatOPIDoR et re3data, notamment. Le choix doit être fait selon différents critères : la fiabilité de l’entrepôt, son caractère pérenne, le coût, le lieu d’hébergement (l’entrepôt étant soumis à la législation du pays hébergeur), la possibilité de restreindre l’accès aux données par le biais d’un embargo, l’attribution d’un identifiant pérenne, etc. Les codes sources de logiciels développés dans certaines disciplines peuvent être également déposés dans un entrepôt, Software Heritage, et dotés d’un identifiant pérenne.

Dans le cas où les données ne sont pas encore finalisées au moment de la soumission de l’article, les chercheur·ses peuvent pré-réserver un identifiant pérenne, et obtenir, donc, un identifiant pour le jeu de données avant le dépôt des données sur l’entrepôt. Ce service de pré-réservation est proposé notamment par Recherche Data Gouv ; quant à Nakala, s’il n’est pas possible de pré-réserver un identifiant, les chercheur·ses peuvent différer la visibilité du jeu de données déposé.

Focus sur l’entrepôt de données NAKALA et des pratiques de liaison publications-données

Hélène Jouguet (Huma-Num) a poursuivi la séance en présentant Nakala, entrepôt de données généraliste pour les SHS lancé en 2014 par l’infrastructure de recherche Huma-Num.

Huma-Num, portée par une vingtaine de personnes, a pour objectif de faciliter le « tournant numérique » de la recherche en sciences sociales en proposant des services pour produire et réutiliser des données numériques. Huma-Num participe en cela au projet européen EOSC (European Open Sciences Cloud), et collabore avec un certain nombre de partenaires, de réseaux-métiers et de communautés scientifiques dans le cadre des « consortium Huma-Num ».

L’infrastructure héberge à ce jour plus de 600 projets et 1 100 bases de données, pour lesquels l’équipe assure un ensemble de services (ShareDocs, Nakala, etc.). Si l’archivage pérenne est assuré par le Cines, les données « tièdes » sont stockées au sein du centre de calcul de l’IN2P3, et de façon distribuée par le réseau des MSH.

Chaque donnée publiée dans Nakala est décrite par des métadonnées structurées (Dublin Core), se voit assigner un identifiant pérenne (DOI) par le biais du dispositif PID OPIDOR de l’Inist. Les données sont standardisées, ce qui garantit leur préservation sur le long terme. Le dépôt d’un jeu de données est soumis à plusieurs conditions : la création d’un compte d’accès ; l’affiliation du déposant à l’ESR français ; le respect du RGPD ; le passage par une instance de test mise à disposition par Huma-Num (des recommandations détaillées sont disponibles ici). Les données sont non seulement stockées mais aussi exposées ; la visualisation des données tient une grande place sur l’interface de Nakala. L’outil de visualisation de Nakala prend en charge une large diversité de formats et propose une visualisation avancée des images grâce au protocole IIIF. Les données déposées issues d’un même projet de recherche font l’objet d’une collection.

Pratiques et modalités de liaison données-publications

1.    Développement d’un environnement numérique unifié liant données et publications : le projet COMMONS

Le projet Commons, faisant l’objet d’un financement PIA3, réunit OpenEdition, Huma-Num et Métopes, a notamment pour objectif de lier de façon plus fluide des données aux publications qui les exploitent. Un des enjeux est la citation croisée des données et des publications (crosslinking) : l’indication sur un jeu de données déposées des DOI des publications qui en sont issues, et l’indication sur la publication du DOI du jeu de données associé, notamment. Actuellement, cette liaison est faite manuellement, par exemple en note de bas de page, et non de façon systématique, ce qui apporte son lot d’erreurs et d’approximations.

2.    Publier des data papers et des model papers : l’exemple de Cybergeo

Un data paper a vocation à décrire un jeu de données et la manière dont il a été construit. Un model paper a vocation à décrire un modèle développé et s’accompagne d’un code informatique complet en libre accès. Ces deux types d’articles viennent ainsi en complément des publications de recherche qui découleront du traitement du jeu de données, et permet la réutilisation des données par la communauté scientifique.

La dernière intervention de la séance était celle de Denise Pumain, fondatrice de la revue Cybergeo (European Journal of Geography), et Juste Raimbault, responsable de la rubrique Model Papers de la revue. Cybergeo est une revue internationale créée nativement en format numérique en 1996, dont les articles, publiés dans plusieurs langues, sont accessibles gratuitement par le dispositif Freemium d’OpenEdition.

Cybergeo a publié 11 data papers depuis 2017. La revue met à disposition des chercheurs souhaitant publier un data paper un template précis et leur indique un certain nombre de normes, dont le respect des principes FAIR et la rédaction de l’article en anglais. Les auteurs sont incités leurs données au préalable dans un entrepôt institutionnel, tels que Harvard DataVerse, Zenodo ou Nakala, sur lesquels la revue dispose de collections permettant de retrouver l’ensemble des jeux de données déposés liés à ses articles.

Un des enjeux de la mise en place d’une rubrique dédiée aux data papers est celui d’une évaluation par les pairs adaptée : un comité de lecture spécifique a été constitué, qui peut être complété par des évaluateurs externes en fonction des thématiques. Pour pallier l’impossibilité d’évaluer un data paper en double aveugle, du fait du dépôt nominatif des données associés sur un entrepôt, Cybergeo a mis en place un protocole d’anonymisation avec Harvard DataVerse, en constituant une « interface-tampon ». Lorsque le dépôt des données est antérieur à la soumission d’un data paper, la revue stocke provisoirement une version anonymisée du jeu de données.

Par ailleurs, le positionnement de Cybergeo est d’évaluer seulement le data papers lui-même et non la qualité des données que l’article décrit. Il s’agit, pour les évaluateurs, de prêter attention au processus de reproductibilité des données ; les auteurs sont responsables des données elles-mêmes. Les délais d’évaluation sont de deux mois environ.

Au-delà des dimensions techniques, qui sont aujourd’hui facilitées par les avancées d’Huma-Num et des autres infrastructures de recherche de l’écosystème, la revue se heurte parfois aux difficultés des auteurs à produire un data paper qui soit bien distinct de l’article de recherche (et à produire, en soit, deux articles au lieu d’un traditionnellement, ce qui leur demande un effort supplémentaire). Par ailleurs, les data papers proposés sont parfois des inventaires de métadonnées plutôt que des articles ayant une réelle plus-value sur le plan scientifique.

Quant aux model papers, il s’agit d’articles concentrés sur la présentation de « modèles de simulation » spécifiques à la géographie théorique et quantitative, accompagnés de leur code source ouvert et commenté ainsi que d’un démonstrateur exécutable indépendant (pour exécuter le modèle présenté). L’objectif est d’ouvrir une discussion scientifique autour des modèles, préliminaire à la publication d’articles de recherche plus poussés. 16 articles de ce type ont été publiés par la revue à ce jour. Une réduction du nombre de soumissions est observée depuis 2020, ce qui invite à se demander si le « vivier » de géographes quantitativistes n’a pas été « épuisé ». Cela montre une difficulté à garder sur le long terme le dynamisme d’une telle rubrique, comme d’une rubrique data papers, dans une revue thématique.

D’autres revues ont suivi le mouvement lancé par Cybergeo, comme Environment and Planning (revue britannique) qui publie également des model papers. Quant aux data papers, la pratique se développe en sciences humaines et sociales, dans des disciplines comme l’économie ou l’archéologie.

En conclusion : que peuvent les revues ?

Si les revues arrivent en quelque sorte en « bout de chaîne », elles peuvent néanmoins participer à la sensibilisation des chercheur·ses en relayant ce guide et les informations pédagogiques qu’il contient auprès de leur autorat [NDLR : voir les recommandations aux auteur·rices sur les données liées aux publications publiées par Biens symboliques / Symbolic Goods].

Une question importante est aussi la prise en compte ou non des données associées à un article de recherche dans l’évaluation de ce dernier : si la revue communique aux évaluateur·rices d’un article les identifiants du jeu de données associé / du data paper s’il existe, cela peut compromettre l’anonymat de l’auteur·rice et rendre impossible une évaluation en double aveugle. À moins que les entrepôts travaillent à la mise en place d’un « sas » préalable au dépôt de données finalisé, dans lequel les données seraient anonymisées, comme le Harvard Dataverse l’a fait pour la revue Cybergéo. Par ailleurs, l’auteur·rice d’un article de recherche peut se référer à un data paper dont il n’est pas l’auteur, même si ce cas de figure est encore marginal.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Lison Burlat (19 juin 2023). Séminaire Open-SHS. Compte rendu de la séance 4 : Partager les données liées aux publications. Carnet de la revue Biens symboliques / Symbolic Goods. Consulté le 24 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13eqa


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